Dans le ventre du Lion - Partie II
Quand des centaines de personnes ont commencés à sortir des bunkers de survie pour explorer l’extérieur, il est normal qu’au bout d’un certain temps il y en ai qui essayent de s’installer quelque part. Je ne parle pas de Cybertown mais d’abris plus sommaire comme des camps de bric et de broc, ou des choses temporaires, voir dingue et ingénieux que certains ont réussi à bricoler. Parfois c’est réussi, parfois c’est voué à l’échec et n’est qu’une autre façon de mourir. J’en ai vu quelques un de ces camps mais aucun de ne m’a retenu assez longtemps. Faut dire je suis un baroudeur, et j’avais toujours une raison qui me forçait à m’en extraire…
Depuis combien de temps est-il là dans le noir ? Les heures paraissent tellement longues. Il pourrait être arrivé la veille ou il y a une semaine… Ses articulations sont endolories, les muscles rigides, sa jambe est toujours douloureuse. Quand la porte s’ouvre et grince en coulissant, il ne bouge pas. Des pas s’approchent en claquant sur le sol métallique. La voix du gars revient l’agresser.
- Alors tu t’es décidé à parler ?
Rell peut juste coasser une réponse.
- Vas te faire…
- On gagnerai énormément de temps tous les deux si t’acceptais juste de dire ton nom.
C’est la voix féminine de l’autre fois qui a repris la parole. Elle par contre semble moins brute, mais est-ce pour autant qu’il doit faire confiance. De toute façon garder son nom ne servirai à rien.
- Ord-Rell Kanagan. T’contente ?...
- C’est un bon début. Si jte détache que comptes-tu faire ?
- Me barrer d’ici…
Elle ricane légèrement.
- Dans l’état où tu es ? Tu n’iras pas loin.
Ord-Rell grogne car il le sait très bien, il est à bout et ne serai plus capable d’entreprendre une longue marche jusqu’à on ne sait où.
- Vous m’avez amené où ?... On… on est dans un bunker ?
Un soupçon de panique passe dans sa voix, après tout, un accès par les sous-sols, il n’a pas envie de revenir dans un bunker. Pas tout ça pour y revenir…
- Non. Ne t’en fait pas, ce n’est pas un bunker.
- Qu’est ce que c’est ? Vous êtes qui ?
- C’est nous qui posons les questions ici ! Intervint à nouveau le gars.
- Jparle pas aux raclures de bunker.
Rell cracha les mots en pensant à la mentalité brutale qui dominait souvent les instincts dans les anciens bunkers de survie. Même si lui aussi en était passé par là, pour survivre. Il l’entendit bouger mais du se faire arrêter par la femme, qui préféra reprendre l’interrogatoire.
- D’où viens tu ?
- Du sud, ya rien dans l’sud…
- Et tu te rendais où ? Poursuivit-elle.
- Au nord… C’te question… Ya… Norim, l’troqueur là, qui m’a parlé de survivants dans le coin.
- Tu connais Norim ?
- Juste croisé une fois. Il secoua la tête. Bon vous allez faire quoi ? On va rester comme ça longtemps comme des cons à se menacer pour rien ?
L’homme rit.
- Toi tu nous menace ?
- ‘tend que jsois libéré du con.
Un petit silence s’éternisa, il remua un peu mal à l’aise. Enfin la femme reprit.
- Si jte libère tu vas devoir respecter les règles d’ici.
Il grogne de mépris.
- Rien à foutre des règles, j’veux me tirer.
- Ici tout le monde agit pour l’ensemble, personne n’attaque les autres. Commença t-elle mais il l’interrompit.
- Mes fesses, vous m’avez bien frappé.
- Tu n’es pas du groupe encore. Ensuite… On ne divulgue pas ce lieu à l’extérieur, surtout pas aux chevaucheurs.
- Ça tombe bien j’en connais pas. Et jsais même pas où jsuis ! Allez arrêtes ton blabla, détaches moi.
Il l’écouta à peine quand elle débita les dernières règles, plus concentré à penser à ce qu’il allait faire après. Péter la gueule à l’autre ouai, ça lui semblait bien. Quand elle se pencha sur lui pour lui défaire les liens il ne bougea pas, pas plus quand elle retira le bandeau. Il cligna un peu des yeux pour voir la petite salle en carcasse métallique et sombre autour de lui. Pas de lampe, la lumière filtrait de l’extérieur par des petites ouvertures près du plafond. Il se regarda, il avait l’air pitoyable, et n’avait plus ses affaires autres que ses habits. La femme était habillé d’une tenue mélange de combattante et baroudeuse sexy, du moins le trouvait-il avec son pantalon brun qui moulait de petites fesses et une chemise un peu échancré qui laissait entrevoir le décolleté. Elle avait les cheveux bond coupé court, qui basculait un peu comme une vague sur le coté droit. Des yeux brun durs le scrutaient. Il jugea qu’elle devait avoir un peu moins de la trentaine. Elle l’aida à se redresser en prenant sa main, il tituba un peu, et tenta de bondir d’un coup vers le mec à coté pour le cogner. Mais plus rapide et en meilleur état que lui, la femme le faucha avec un croc-en-jambe et il s’effondra lourdement au sol en râlant.
- Je viens de dire quoi Ord-Rell ?!
- Ça va c’est bon…
- Tu vas te tenir tranquille ?
- Ouai… j’en ai ma claque.
Elle l’aida à nouveau à se lever et il ne se débattit pas cette fois. Le gars ouvrit à nouveau la porte et elle l’y guida.
Le pas hésitant et toujours douloureux, il se retint à la porte métallique et plissa les yeux un peu à la lumière. Il fit un pas sur l’escalier métallique qui menait à un sol de béton et regarda autour de lui. Ils étaient dans un grand hangar, quelque peu abimé, le toit partiellement détruit surtout à un endroit. Quelques voies ferrées courraient tout le long, pour cause, sa prison était un wagon de marchandise, isolé sur sa voie. Une voiture voyageur était disposée plus loin, des rideaux tirés, en bout de voie. Quelques personnes s’affairaient autour d’un feu mais il ne prit pas le temps de tout détailler, la femme le tira par le bras pour l’emmener. Il grommela et se tint à elle pour avancer.
- ‘tin c’est quoi ici ?
Sur le toit de taule résonnait le vacarme d’une averse. Des goûtes ou filets d’eau coulaient des trous du plafond. Il s’approcha et tendit une main pour faire mine de récolter et boire. La femme lui bougea la main et intervint :
- Je ferai pas ça à ta place. Ça rend malade de boire l’eau de pluie comme ça.
- Ha bon ? Comment faites vous pour boire alors ?
- On a un distillateur pour purifier l’eau avant.
Elle continua d’avancer vers un endroit plus sec du hangar, où étaient amassés les gens, il en vit cinq présents.
- Bref bienvenu au QG de la tribu du Lion. Moi j’m’appelle Cobalt.
- Mouai…
Autour du feu étaient disposés quelques fauteuils de train qui avaient été arrachés et posés à même le sol, en une sorte de cercle large. Les quelques personnes tournèrent la tête vers eux.
Un peu à l’écart il y avait un type assez jeune, presque un gamin, en tenue relax, t-shirt jaune, casquette rouge et blanche usée à l’envers, et un jean troué. Il était avachi dans un imbroglio de fauteuil pour faire un nid confortable. Sur les yeux il avait une visière opaque qui le coupait du monde, un câble en partant pour rejoindre un appareil, qui se connectait aussi à une manette de vieille console de jeux qu’il tenait dans les mains. Un autre câble courrait de l’appareil vers un escalier qui descendait en sous-sol. Cobalt poursuivit en le désignant.
- Lui c’est Pika, c’est pas son vrai nom mais il veut qu’on l’appelle comme ça. Là tu vois c’est lui qui pilote les Seekers.
- Les quoi ?
Le Pika en question fit un vague geste de la main pour saluer et continua de triturer sa manette.
- Les surveillants volants que t’as vu, et qui t’ont vu. C’est comme ça qu’on repère les intrus et qu’on agit en conséquence. Fuir dans les égouts… aurait pu être une bonne idée si ça n’avait pas été notre moyen de déplacement principal. On les connait bien mieux que toi, ça a été facile de te coincer.
Ord-Rell grogne de dépit et la regarde.
- Bravo vous avez capturé un homme blessé, quelle gloire…
Sortant du hangar, un autre spectacle s’offrit à ses yeux. Les voies du hangar rejoignaient une plateforme centrale circulaire, pont roulant pivotant d’une époque lointaine, d’où rayonnaient des dizaines de voies ferrées. Au milieu de la plateforme, une machine éolienne de métal et de toile tournait lentement sous la pluie. Sur leur gauche, d’autres hangars semi-ouvert s’alignaient les uns contre les autres en arc de cercle, une voie rentrant dans chaque. Une extrémité laissait cinq de ceux-ci effondrés sur les dix-neuf de l’ensemble. Sur les voies à l’air libre à droite pourrissaient quelques carcasses de vieilles locomotives. Il embrassa l’ensemble de la vue de la rotonde ferroviaire avant de clopiner, toujours entraîné par Cobalt vers les hangars en arc de cercle.
Rell désigna vaguement de la main la machine éolienne au centre.
- Vous avez l’électricité ?
- A peine. De quoi faire fonctionner les Seekers, quelques lumières et le distillateur.
- Pas mal… Qui a fabriqué tout ça ?
Elle sourit brièvement et expliqua :
- Ha… C’est Phileus. Un peu râleur mais c’était un bon ingénieur. Il a récupéré quelques pièces des locomotives qui de toute façon ne fonctionnent plus depuis des lustres. Et avec des assemblages d’autres trouvailles, il nous a pondu tout ça.
- Impressionnant. Jlui parlerai ptetr plus tard.
- Non.
Il haussa les sourcils, étonné de sa réponse directe.
- Pourquoi ?
Mais Cobalt ne répondit pas et lui désigna l’intérieur des hangars. Sur plusieurs voies étaient disposés des voitures voyageur. Les vitres étaient pour la plupart brisées mais on avait remplacé par des planches ou des rideaux épais. Il en compta huit. Une neuvième étaient à demi ensevelie et écrasée sous les décombres en bout de hangar et ne devait pas servir. En marchant il observa un mur qui portait une inscription de l’ancien nom du lieu à demi effacé et recouvert de la marque rouge de la tribu à la bombe de peinture.
Elle le guida jusqu’à une des voitures et grimpa le marchepied pour rentrer en l’aidant.
- Bon… Celui là a été vidé il y a deux semaines, ses occupants étant parti.
- Ha ? Comment ça ?
- En fait ici des gens vont et viennent. Nous sommes peu à être installés depuis le début, en tout cas ya moi, Pika, Pol, Deren et…
Mais elle s'arrêta.
- Et ? C’est qui Pol, et Deren ?
- Deren c’est le gars que tu as voulu cogner dans le wagon. Pol notre cuisinier, tu as du l’apercevoir près du feu. Chemise grise, une barbe brune dense.
Il chercha dans sa mémoire les silhouettes vues rapidement et opina. Il inspecta l’intérieur du wagon, une bonne partie des sièges avait été retirée pour faire de la place, on avait rajouté divers objets et petits mobiliers trouvés dehors. C’était sommaire mais malgré tout de loin le meilleur campement qu’il ai connu. Cobalt reprit :
- Ça peut être ton wagon le temps que tu restes là.
- Quoi, tout ça ?
- Si tu le souhaites… Bienvenue dans la tribu du Lion.
- Mouai… merci, m’enfin j’ai rien demandé… De toute façon faut que jme repose un temps pour ma jambe…
- Et tu devras boire mon breuvage dégueulasse pour guérir !
Il grogna pour la peine et s’installa sur un fauteuil de train et soufflant.
- Je vais me reposer un peu. Vous avez une drôle de façon de souhaiter la bienvenue aux gens en les enfermant dans un wagon…
- On doit prendre quelques précautions pour savoir à qui on à affaire. On peut pas se permettre que ce lieu soit découvert par les chevaucheurs de métal.
- Et si j’en avais été un ? demanda t-il en tournant à nouveau la tête vers elle.
- Tu serai mort. Mais ils ne peuvent pas accéder directement au QG, la disposition des ruines autour fait qu’il n’y a pas de place pour faire passer leurs engins. On est dans une niche enclavée, accessible que par le sous-sol.
Rell opina et appuya sa tête sur le dossier, fermant les yeux.
- Ouai… bon jpasserai plus tard.
Il n’était même pas sur de l’avoir entendu sortir, il sombra rapidement dans le sommeil.
*
* *
Quand il se réveilla il faisait sombre. Rell regarda un peu autour de lui, un instant désorienté avant de se souvenir qu’il était dans un wagon posé dans une vieille rotonde abandonnée. Il se redressa et chercha sa béquille des yeux. Il vit qu’on lui avait apporté une barre de fer qui pouvait faire office de. Il la saisi et s’avança vers la sortie, descendant prudemment de la voiture voyageur. L’endroit était calme, même en passant proche des autres voitures ferroviaires dont il fit rapidement le tour. L’odeur de fumet qui atteignait ses narines lui apprit que ça devait être l’heure de manger, et son ventre gargouillant lui apprit qu’il avait très faim.
Il retourna à l’autre hangar, la pluie avait cessée mais le ciel était toujours sombre. Quand il entra, le cercle de sièges autour du feu était presque plein, un peu moins d’une dizaine de personnes à la volée. Cobalt sortait de la voiture voyageur isolée et se dirigeait vers eux. Une marmite était au feu, pleine de quelque chose qui attisait la faim. Il s’approcha en clopinant comme un pirate, la béquille métallique claquant sur le sol et attirant quelques regards vers lui ce qui l’agaça.
- Quoi ! Vous avez jamais vu un blessé ? J’ai droit à une part ?
Cobalt les rejoins à ce moment et lui répondit.
- Bien sur. Pol tu peux lui donner un bol ?
- Sur, répondit l’intéressé alors qu’il remplissait à la louche un bol avant de le tendre à Ord-Rell avec une cuillère.
Celui-ci s’en saisi et alla se mettre un peu à l’écart. Il ne voulait pas être dans leur cercle débile, alors qu’il ne les connaissait pas. Il les garda à l’œil tout en mangeant sa bolée, qui n’était pas mauvaise d’ailleurs. Ils discutaient simplement, demandant des nouvelles sur la santé de quelqu’un mais ce n’était pas de lui qu’on parlait, des projets pour le lendemain, d’une sortie en centre-ville, de la réparation d’un tuyau de l’alimentateur éolien… Il grogna, ça changeai de ses soirées en solitaire et silencieuses et ils commençaient à lui prendre la tête.
Il se releva sans mot dire et s’éloigna comme il pu avec son bol, rejoignant l’extérieur.
Là il prit le temps de regarder un peu et se dirigea en plein centre, sur l’ancien pont pivotant, juste à coté de la machine éolienne qui tournait doucement. Il s’assit en soupirant et reprit sa consommation de nourriture. Tout était à l’ombre ici, et d’autant plus avec les nuages, il ne vit pas le soleil se coucher. Il resta néanmoins dans la lumière déclinante et posa son bol à coté de lui une fois vide.
- T’es du genre solitaire non ?
Il sursauta et tourna la tête. Une femme s’était approchée et il ne l’avait même pas entendu. Elle avait peut être quelques années de plus que lui. Assez en chair, mais sans trop d’excès, il devinait surtout une certaine force là-dessous. Elle avait une tenue simple et ample dans les tons beiges qui laissait deviner dessous une poitrine qui n’avait rien à jalouser, ainsi qu’un pantalon qui moulait ses hanches larges. Une machette était accrochée à la ceinture dans un fourreau. Ses yeux étaient gris dans la pénombre et une large tache brune marquait sa joue gauche.
Il soupira et lui répondit.
- Et alors ?
- Alors rien.
Néanmoins elle vint s’asseoir avant de continuer.
- Jm’appelle Ophélie. Je ne suis pas arrivée ici depuis très longtemps non plus tu sais. Et toi c’est ?
Comme elle forçait la conversation il fut obligé de répondre.
- Ord-Rell. On m’a gentiment invité en m’enfermant dans un wagon. Vous êtes super cool dit donc.
- T’as pas eu de chance, mais peut être si tu avais un air plus sympathique tu inspirerais moins la méfiance.
- C’est de ma faute maintenant. C’qui faut pas entendre. Ouai je suis une grande menace, avec ma guibole pétée !
- Faut pas leur en vouloir d’essayer de préserver ce petit havre. C’est plutôt rare tu sais.
- Hm me doute.
Elle garda le silence un moment en le regardant, il s’en senti de plus en plus gêné d’être dévisagé ainsi. Mais elle reprit la parole finalement.
- Pourquoi tu n’es pas resté manger avec nous ?
- Pourquoi le ferai-je ? Jvous connais pas. Faudrai que jvienne m’asseoir dans votre cercle à la con, hey salut les potes ?
- Soit pas si négatif… je voyage seule aussi. Mais je ne suis pas mécontente d’avoir trouvé un peu de compagnie.
- Hm…
- Ça fait des mois que je bouge à droite à gauche. C’est la première fois que je vois un endroit où me caler quelques temps, peut être même resterai-je.
Il haussa les épaules. Elle le scruta encore comme si elle lisait en lui, le mettant mal à l’aise. Elle souffla à voix basse quelques mots.
- Pourquoi tu es si taciturne ? Qu’as-tu donc traversé pour en arriver là…
Il secoua la tête.
- Si seulement je le savais de manière si simple…
- Si tu as besoin de parler viens m’voir Ord.
- J’ai rien à dire… répondit-il en grommelant.
- On a tous quelque chose à dire.
Elle se leva en souriant légèrement et le laissa tranquille.
Il commençait à faire noir, aussi se leva t-il pour rejoindre son wagon. Il hésita un temps sur les différents wagons avant de se rappeler que le sien avait une bande bleu sur le flanc. Il ne souhaitait que se reposer. Il grimpa les marches doucement et referma la porte derrière lui.